V-Les Formes intuitives

2005

1- Les plans détournés

Ma fascination pour le schématisme vient-elle d’une vocation rentrée d’architecte ou d’urbaniste ? Sans doute la création est-elle soutenue par un terreau de nostalgies. Dès les années 75 certains tableaux présentaient des formes emboîtées, des plans, des jeux de construction (marinas, villes fabuleuses..) dont l’aspect formel et figé m’avait conduite à une impasse. Plus tard, je me suis amusée à détourner de leur fonction des plans d’ingénieur, un support fragile dont on remarque les pliures, les légendes et les cotes : cette démarche remplaçait par la fantaisie et les discours drolatiques, les traductions codées des schémas scientifiques. Supports d’un message rigoureux réduit à la maigreur de l’énoncé, je leur substitue des formes intuitives, monstres ou poupées désarticulées. Les formes scientifiques sont vouées à un codage et donc à une transcription verbale précise visant à l’information et à la communication efficace. Dans ces squelettes, la main pensante projette des traces où l’on détecte des fantasmes robotiques ayant des connivences avec la chair, nerfs et muscles. Superposition de la technique, des sciences naturelles et des images de l’archéologie. Robots ? Usines biologiques ? Masques d’insectes ? Totems primitifs ? Le travail sur le dialogue entre la peinture et la poésie (voir chapitre précédent) nous affranchit d’un support préétabli et même des titres, des interprétations données. Je dessine et peins sans avoir de projet énonçable. La main pensante se fait plus intuitive, les formes sont l’expression de cette libération par rapport au langage. Les formes deviennent en elles-mêmes poétiques, se prêtant à l’ultime émergence de métaphores dans lesquelles la matière et en particulier le support vont jouer un rôle expressif.

2- Les Kakémonos

Encore le hasard inspiré ! Un morceau de papier blanc « à peindre » légèrement gaufré traîne dans mon carton à dessins : cela doit faire trois ans que j’y ai gribouillé une sorte de profil félin c’est tout du moins ce que je vois « après » l’avoir dessiné. Donc je retrouve ce morceau de quelque chose, et je découvre les effets du grain que je n’avais pas remarqué, ainsi le moment est venu d’une certaine maturité, je suis « à point » pour entreprendre. Le format se révèle plein de questionnements : où faudra-t-il couper le rouleau ? Quelle doit être l’importance des motifs ? Tout cela est en fait guidé par les contraintes matérielles : la largeur de la table à dessin par exemple, la hauteur sous plafond de la galerie…etc Un motif apparaît, auquel je n’avais pas pensé : racontent-ils des histoires ? Ont-ils un lien entre eux ? Le fond doit être retravaillé en général, peut-être pour éviter un rappel de papier peint mural. Les œuvres sont fragiles, périssables. Au moment où les artistes des galeries donnent dans le monumental, dans les technologies ruineuses, je ne sais comment me situer : c’est un art pauvre et périssable, qui ne vaut que par le plaisir ludique de son exécution, et par les images « de synthèse » qui me viennent de toutes les images et toutes sortes de sensations imprécises et de tout un savoir, mon stock personnel qui vient à la surface, une sorte de mémoire intuitive et sensorielle.

3- Collages

Dans la suite des dialogues peinture-poésie, les formes acquièrent en elles-mêmes une suggestivité poétique. Le travail sur les formes, sans contenu préalablement donné, vient appuyer cet objectif, en particulier les découpages, collages.