grattages

III-Ecritures-Signes

1975 - 1985

1- Les écritures, grattages, traçages

Peu à peu s’installe la sensation que le cerveau mène une vie parallèle, qu’il impose à notre existence ses visions au moins aussi importantes que celles du monde perceptible : les “ traçages ” de la mémoire l’emportent sur les formes visibles. Cela donne des oeuvres qui s’inspirent de l’histoire des écritures : beauté des caractères venus d’écritures non alphabétiques ou des grottes rupestres, ce qui nous conduit au plaisir du grattage et à l’utilisation des poudres colorées, épices ou terres des carrières. La libération des traces mnémoniques à travers la liberté du geste ouvre une nouvelle voie. La main et l’esprit s’étant rejoints, je m’attaque avec plus de confiance à des toiles ou je voudrais faire “ parler sans mots ” la couleur et les épaisseurs, le grattage comme un réseau de formes non-identifiables. “ Traces ” des engrammations neuroniques hors langages et propres à l’imagination? Mais aussi recherche de signes qui seraient comme archéologies du futur : traces de messages dont les empreintes ne sont pas identifiables. Avec les “ traçages ”, la main apprend à se dissocier de la pensée construite et des mots. Pour répondre à des traçages de la pensée visuelle (différemment de l’automatisme surréaliste), j’ai espéré une maîtrise dans l’association du geste et des circuits aléatoires, comme le reflet visuel des flux de l’imagination. Une plongée en quelque sorte dans la “ boîte noire ” de l’intelligence humaine (non artificielle, non programmée). Je découvrais une pensée sensible, éclairée de quelques bribes verbales mais surtout illuminée par le plaisir de faire, très proche peut-être de celui de l’enfant qui s’émerveille d’être cause. Je découvrais une pensée concrète proche de la matière. Nous ne devons donc pas voir des oeuvres “ abstraites ” dans ces tableaux dessinés avec des poudres de terre, mais au contraire des oeuvres qui recherchent le plaisir originel de “ faire ”. La matière vient de carrières, de terres broyées, de roches colorées, parfois d’épices. Bien sûr, le rappel des dessins rupestres du Quercy est omniprésent, comme si les grandes forces Cette nostalgiques du pays natal se trouvaient quelque part inscrites dans la mémoire. Terres et encres sont mêlées. Tandis que les terres sont la chair des oeuvres, les encres dessinent des tracés qui rappellent des signes iconiques, comme une recherche calligraphique.

grattages la_guerre_fleurie le_jeu_de_pelote masque_musique mimogramme mimogramme

2- Les encres

Dans cette volonté de libération, la main devient pensante, allégée de matière par le choix des encres qui prennent de plus en plus d’importance, mais ne sont pas au service des mots. Le dessin est le résultat inattendu d’une élaboration intérieure inconsciente qui suscite un geste, et le choix des couleurs. Le pinceau se fait léger, c’est la main qui parle et c’est l’esprit dans ce geste. Comme le peintre chinois qui regarde le fruit intensément jusqu’à atteindre l’esprit du fruit. Ce seront d’abord des “ calligraphies ” à l’encre de Chine, qui cependant ne cherchent à signifier dans aucun système : tout plagiat des écritures fonctionnelles est écarté et enfin il n’y a aucune prétention à imiter l’Orient. Il s’agirait plutôt de “ tracés ” affirmant au moyen d’un matériau simple et riche de possibilités plastiques (jeu des nuances et des graphies), le « chant des signes », berçant des rêveries mouvantes. Tout est dans le plaisir du geste et le non-dit, comme si petit à petit se dégageait l’évidence d’une vie sensible hors des mots. Ma familiarisation avec le travail des encres m’a permis de donner une dimension mythique aux représentations schématiques. Par exemple Ténochtitlan est inspiré par la maquette de l’ancienne ville des Aztèques, le quadrillage des canaux ponctués par l’or des temples, mais c’est aussi un animal monstrueux. Je découvrais la dimension « métaphorique » de l’expression iconique. L’inspiration venait d’un voyage au Mexique (La Guerre fleurie, Le Jeu de pelote, Masque) a opéré de façon totalement inconsciente puisque le titre de ces œuvres ne m’est venu qu’après leur exécution. Les titres d’ailleurs ne me satisfont pas, ils réduisent l’interprétation alors que je tiens à conserver le jeu des métaphores : par exemple, Masque est habité par une dimension musicale et par d’autres visions. Echarpe suggère bien autre chose que son titre : villes, vaisseaux, réseaux, événements cosmiques et biologiques.

mimogramme mimogramme sans_titre

3- Mimogrammes

Dans de petits carnets, des calligraphies schématiques au pinceau léger et à la plume, comme des notations rapides, écritures ou mimogrammes sans références, totalement libres de signification, doués d’une vie autonome au gré du regard qu’on leur porte. Chaque œuvre est polysémique ; l’interprétation sensible n’est pas figée et reste intraduisible. D’où la recherche de signes plus schématiques, comme des idéogrammes « maigres », qui renouent avec la plume ou le feutre, calligraphies occidentales.

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